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Derrière ce nom, connu de certains musiciens de jazz (le livre Thesaurus of Scales and Musical Patterns) ou de certains amateurs de rock, grâce à Frank Zappa avec qui il a ponctuellement collaboré, se cache une personnalité musicale hors du commun, pleine d’inventivité et d’humour.
(Crédit Photo : www.slonimski.net/photos)
Nicolas Slonimski (1894/1995), compositeur, pianiste et chef d’orchestre, est né à Saint Petersbourg. Il émigre au USA en 1923, pour fuir la révolution russe. Là, il devient l’assistant de Serge Koussevitsky au Boston Symphony Orchestra.
Ostracisé par le milieu musical pour cause de militantisme envers la musique de compositeurs d’avant-garde comme Edgar Varese ou Charles Ives, il se fera surtout connaître par ses livres.
Outre le Thesaurus cité plus haut, on peut aussi mentionner le Lexicon of musical invectives qui répertorie, avec humour, les invectives qui ont pu être adressées aux plus grands compositeurs.
Esprit indépendant, curieux et non conventionnel, sa musique mérite d’être découverte. On peut en avoir une idée sur le site qui lui est consacré, http://www.slonimsky.net/
Pour ne citer qu’un exemple, la valse extraite de la suite Piccolo Divertimento
http://www.slonimsky.net/media/ (1er morceau de la Playlist, écouter cette valse à partir de 5’11)
S’il vivait aujourd’hui, Nicolas Slonimski aurait pu écrire La Polytonalité pour les Nuls. Tous ceux que ce terme rebute, trouveront chez lui une occasion de vaincre leur allergie.
Pour conclure ce blog, voici les dernières mesures de cette valse extraite de la suite Piccolo Divertimento, en forme de clin d’œil ou de pirouette.
Remarquez avec quel naturel il utilise certaines dissonances ( La bécarre/mesure 3 ou Dob dans l’avant-dernière mesure). Pour être exact, on est plutôt dans l’extension de tonalité, que dans une réelle polytonalité, mais voici la preuve que l’on peut théoriser sur le langage musical tout en donnant le sentiment d’une simplicité enfantine.
Récemment, à l’occasion d’un projet d'hommage par la ville d’Arcueil, Erik Satie a été traité, entre autres, "d’ivrogne et de communiste" par un élu FN .
(N.B. Pour ceux qui auraient raté cet épisode, vous pouvez visionner la chronique de François Morel sur France Inter qui a trouvé le ton juste pour l'évoquer. http://www.erik-satie.com/francois-morel-con-darcueil-traita-erik-satie-divrogne-communiste/ )
A ce réquisitoire accablant, il faudrait aussi ajouter que la musique de Satie cultive à plaisir l’ambiguïté. En voici un exemple :
Ses compositions ont souvent un caractère modal. C’est le cas, par exemple, de deux de ses œuvres les plus connues, La Gnossienne #1 et la Gymnopédie #1.
Observons les modes utilisés par le compositeur :
Le début de la Gnossienne #1
Est construit sur le mode suivant :
Dans les 2 cas le compositeur joue sur les ambiguïtés entre IVè et Ier degré.
Cette démarche fonctionne d’autant mieux que :
—le mode majeur produit des accords majeurs sur le Ier comme sur le IVè degré
—le mode mineur produit des accords mineurs sur le Ier comme sur le IVè degré
Cette équivoque entre tonique et IVè degré produit un effet de flottement, de suspension, de clair obscur, propice au rêve, et au sein duquel se développe l’imagination du compositeur.
J’espère, avec ce blog, avoir moi aussi démontré que Satie ne méritait pas l’hommage qu’on voulait lui rendre, lui qui a déclaré avec humour:
Il ne suffit pas de refuser la Légion d’Honneur, encore faut-il ne pas l’avoir méritée.
Voici un petit jeu harmonique qui se pratique aisément sur un clavier.
Il peut se décliner de multiples façons, selon vos goûts.
La règle à suivre est la suivante :
— on part d’un accord de 3 notes, espacées par des intervalles de 5tes
(Ex : Do Sol Ré) que l’on va jouer à la fois avec la main gauche dans le registre grave et à la main droite, dans le registre aigu.
Ces trois notes peuvent éventuellement faire l’objet de renversements (ce qui est le cas de la main droite dans l'exemple ci-dessous). Mais, le registre grave étant plus propice aux renversements ouverts, je conseille, dans un premier temps, de garder à la main gauche un renversement à base de 5tes.
Certaines cadences tonales ont été si rabâchées qu’il semble impossible de créer, à partir d’elles, une musique originale.
Voici quelques contre-exemples qui jonglent avec les chromatismes, les notes d’approche, les changements impromptus de tessitures, les notes sensibles non résolues. Ils prouvent qu’il y a toujours moyen de créer du nouveau à partir d’un matériau ressassé.
Un exemple : octavier l’une des deux notes d’un mouvement chromatique produit un intervalle de 9è mineure, surprenant à l’écoute, mais qui reste logique dans le cadre d’un discours tonal.
La composition suivante l’utilise abondamment.
La bande musicale du film Valley of Love de Guillaume Nicloux, actuellement sur les écrans, permettra certainement à beaucoup de découvrir la magnifique composition de Charles Ives :
The Unanswered Question.
Composée à l’origine en 1908, elle a été remaniée par le compositeur dans les années 30.
Cette musique fournit un excellent exemple de collage entre diverses approches musicales.
L’orchestre y est divisé en 3 groupes indépendants:
— une section de cordes écrite à 4 parties qui joue une sorte de choral très lent avec des accords très ouverts (le premier, un accord de Sol majeur, s’étend sur 4 octaves). Cette partie fait entendre des accords très consonants dans une écriture (presque) diatonique.
Pour Charles Ives cette partie évoque le " Silence des Druides ».
— une courte phrase en forme de question, jouée par une trompette, qui revient 7 fois tout au long de l’œuvre de façon quasi identique (seule change parfois la dernière note). C’est The Unanswered Question, la "question éternelle de l’existence".
— les tentatives de réponse à cette question sont jouées par un 4tet de bois. Elles sont ponctuelles, d’une nature dissonante et peuvent paraître, selon les endroits, comme décalées, ludiques, foisonnantes ou dérisoires.
Ces trois groupes sont indépendants, jouent dans des tempi indépendants et sont placés dans des espaces scéniques différents.
Comme souvent chez Charles Ives, il y un jeu de collage. Ici, ce procédé fonctionne parfaitement grâce à son adéquation entre la forme choisie et le sujet The Unanswered Question, qui est aussi le thème autour duquel s'articule le film de Guillaume Nicloux.
Voici une video proposant d'écouter cette musique en visualisant la partition.
N.B. : Il y a une légère différence entre audio et partition sur la dernière note des 2 dernières questions. Je pense que la version exacte est celle de l’enregistrement.
Dans le catalogue du compositeur Györgi Ligeti, la Musica Ricercata pour piano (1951-1953), considérée comme une œuvre de jeunesse, est peu souvent citée.
C’est pourtant une composition unique, par l’économie des moyens qui la caractérise. Jugez-en : dans les 12 pièces qui la composent, la première n’utilise que 2 notes, la deuxième en utilise 3, et ainsi de suite jusqu’à la 11è pièce qui utilise le total chromatique.
Ligeti est un compositeur qui a souvent manié l’outrance avec bonheur. Ici, il est très intéressant de voir comment il joue avec la contrainte. Comme il est très intéressant d’observer, pour chaque pièce: les notes choisies, les intervalles ou les échelles qu’elles forment, ainsi que la dramaturgie qui organise la structure de ces pièces.
On peut écouter toutes ces pièces sur Youtube (dans l’excellente interprétation de Pierre-Laurent Aimard), tout en visualisant la partition:
Pour ceux qui penseraient que tout cela n’est qu’un jeu de l’esprit, il suffit de voir comment le metteur en scène Stanley Kubrick a utilisé la 2è de ces pièces dans son film "Eyes Wide Shut", pour se convaincre du contraire.